Mon témoignage
Janvier 2020
« Endométriose, adénomyose ». Le diagnostic tombe. Vingt-deux ans après mes premières règles. Vingt-deux après mes premières « crises de douleur ».
Selon de récentes études, il faut en moyenne sept ans pour poser le diagnostic de l’endométriose. Il leur1 aura fallu vingt-deux ans dans mon cas. Vingt-deux ans d’errance, de colère, de maltraitance, de souffrances, de tristesse, d’anxiété.
Elle sont là, mes premières menstruations. Celles qui font de moi une « jeune femme ». Celles qui me transforment. Celles qui vont m’assujettir, m’emprisonner et faire de mon corps une véritable prison.
J’ai 13 ans
Je ne comprends pas pourquoi j’ai si mal lorsque je saigne. Déjà, des discours dépassés, stigmatisants, rabaissants, se glissent dans mes oreilles. « Il »2 ne peut pas s’en empêcher. La science, la médecine, paternalistes, n’auront de cesse de me faire subir ces discours.
J’ai 13 ans et « il » m’assène : « C’est normal pour une jeune femme nouvellement réglée d’avoir mal. Le corps a besoin de temps pour s’habituer ». Sauf que mon corps ne s’habitue pas.
Chaque cycle, ce sont des lames de rasoirs qui déchirent mon utérus, des couteaux qui entaillent mon ventre, des torrents de sang3.
Chaque cycle, ce sont les larmes, les pleurs, les cris qui déchirent l’espace.
Chaque cycle, ce sont des barrières qui se dressent autour de moi, ce sont des camisoles de douleur qui me plombent.
Je n’en peux plus d’attendre que les crises passent.
Je n’en peux plus d’entendre les médecins, et autres gynécologues, qui insistent dans leur déni et leur propos méprisants : « Vous devez avoir un problème de complexe vis à vis de votre corps » ; « Vous avez un soucis avec la vue du sang » ; « Vous exagérez vos douleurs. Les règles ne sont pas une maladie ! » ; « Allez voir un psychologue ou un psychiatre. Vos douleurs, c’est dans votre tête. ».
J’ai 13 ans et je me construis avec ces dires. Je suis une ado hystérique, revêche, rebelle, qui exagère, qui affabule, qui est « dérangée ». J’ai mal, j’en crève, et je suis folle.
Les cycles ne finissent jamais. Ils reviennent toujours. C’est comme la lune. Ces lunaisons ne se mettent jamais en pause. JAMAIS.
On me donne des ampoules pour stopper les hémorragies ; on me prescrit des cachets pour « réguler » mes cycles ; on me bourre d’anti-spasmodique, de paracétamol, d’anti-inflammatoire, de codéine, d’ibuprofène. Rien à faire. « Ils »4 me prescrivent la pilule. J’en essaye une, puis deux, puis dix, puis … j’arrête de compter. Rien à faire. Les douleurs persistent et mon corps supporte mal la pilule.
J’ai 16 ans
Cela fait 3 ans que je m’absente tous les mois, que je « loupe les cours ». Au fond du lit, bouillotte contre mon ventre, médicaments qui débordent de ma bouche, sang qui tâche mes draps en se mêlant aux larmes. J’arrête la pilule. Les effets secondaires épuisent mon corps : prise de poids (10 kg en 2 mois, quand on a 16 ans c’est dur, c’est abjecte, on se déteste encore un peu plus), nausées, douleurs d’estomac, constipation, fatigue, sécheresse vaginale, mycoses à répétition, migraines.
J’ai 16 ans et je hais mon corps. Je hais ce qu’il me fait subir, ce qu’il m’impose. Je hais le fait d’être une femme. « Ils » ne comprennent rien et s’évertuent à m’infantiliser, à m’ignorer, à me mettre de côté. Toujours les mêmes discours. Je change, je grandis, mais eux, ils restent les mêmes, toujours, culpabilisants à souhait, culpabilisants à en vomir.
J’ai 20 ans
Je vis avec ce fantôme. Je n’ai pas le choix. Il faut bien se faire une raison. On apprend à vivre avec tout, avec rien. Sept ans déjà. Toujours aucun diagnostic, aucune explication « scientifique » ou « médicale ».
À la fac, je continue de m’absenter régulièrement, à chaque crise. C’est l’angoisse des partiels. Si j’ai mes règles, comment vais-je faire ? Comment pourrais-je aller passer mes examens et obtenir mes diplômes ? Comment pourrais-je aller travailler pour payer mes études et subvenir à mes besoins ?
On joue à cache-cache cette peur et moi, au chat et à la souris. Le chat m’attrape toujours.
« Ils » me disent : « Bientôt, quand votre corps aura fait ce pour quoi il est créé, il se régulera. Une grossesse ça soigne les règles douloureuses. ». Mensonges, ignominie, « ils » me prennent vraiment pour une conne ! Bientôt, on se croirait dans The Handmaid’s Tale5. Au XXième siècle, nous en sommes là : « Enfante et tu seras guérie ».
J’ai 25 ans
Je suis enceinte. C’est un répit. Une délivrance. Fini les règles pendant neuf mois. Bye bye les crises de douleurs et tout l’attirail qui va avec. Je suis LIBRE. Je vis les plus beaux mois de ma vie. Mon corps est en gestation. Il porte la vie. Il construit autre chose que des pleurs. Il tricote la vie, une vie, la vie de mon enfant. La vie est belle et pleine de lumière.
J’ai 26 ans
Malgré l’allaitement au sein, mes règles reviennent. C’est pire qu’avant. Après une année complète de répit, je redécouvre, malgré moi, les crises épuisantes, les pleurs, les journées qui n’en finissent plus.
La course aux gynécologues, aux médecins, aux spécialites reprends de plus belle. On me dit : « Non, vous ne souffrez pas d’endométriose car vous n’êtes pas infertile. Vous venez d’avoir un bébé. » Et on me laisse là, bêtement, avec mes cachets de codéine plein les poches.
Mais moi, je sais. J’ai 26 ans et j’ai compris. Même si on me dit que « non », je pose ces mots sur mon ventre, tel un baume : E.N.D.O.M.E.T.R.I.O.S.E.
Dans 9 ans, le diagnostic sera officiellement posé par un gynécologue. En attendant, je m’épuise, de règles en règles. C’est la galère. Le temps passe.
La peur de louper mes cours de Master, la peur de louper mes concours, la peur de louper mes stages, la peur de louper mon travail.
La culpabilité d’être absente régulièrement.
Les « celle-ci, toujours absente pour un oui pour un non », « chochotte », « prends un doliprane et arrête de te plaindre ». Les réflexions cachées, les chuchotements lancés sur mon passage.
L’anxiété du quotidien : « vais-je pouvoir conduire pour aller chercher ma fille ? », « comment faire pour préparer les repas ? », « comment honorer ce rendez-vous ? ».
Les effets secondaires des médicaments.
Les traitements de plus en plus lourds et les dérivés de la morphine.
Les cocktails explosifs, les surdosages, les ulcères à l’estomac.
La douleur qui irradie jusque dans mes mollets.
La fatigue chronique, insurmontable, étouffante.
Les passages éclairs à l’hôpital et les perfusions, qui ne servent à rien.
J’ai 32 ans
Cela fait 19 ans que je ne reconnais plus mon corps, que je n’éprouve plus d’amour pour lui. Ce désamour me peine. Il devient le refrain de mon existence. Mon existence réduite à cet amas de chair, à cette souffrance.
Alors je comprends. Je ne dois plus être « contre » mon corps. Je dois devenir sa bienfaitrice. Je dois le réapprendre. Courage, patience et résilience. Je ne veux plus subir cette maladie. Je vais donc la vivre.
Je découvre le yoga, la méditation et la relaxation. Ces pratiques deviennent des rituels rythmant mon quotidien. Un peu de douceur. Et, petit à petit, pas après pas, un peu d’amour. Accepter la douleur, ne plus la combattre. Accompagner mon corps, ne plus le haïr. Changer mon regard sur la vie.
Viens le temps de l’apprentissage, de la lecture et de la recherche autour de l’endométriose. Je la connais de mieux en mieux. Je m’adapte. Et, le courage en bandoulière, je décide de prendre les choses en main, c’est à dire, affronter le corps médical.
J’ai 35 ans
Je suis opérée. Sur le billard, par coelioscopie, on me retire un kyste de 4 cm sur la trompe gauche, on m’enlève des « lésions d’endométriose » à l’avant et à l’arrière de l’utérus, sur la paroie de la vessie et du rectum, ainsi que sur les ligaments utéro-sacrés. Trois heures d’opération.
Ça y est.
ENFIN.
Le diagnostic tombe : ENDOMÉTRIOSE et ADÉNOMYOSE.
Je n’étais donc pas folle. Je le savais. C’est une victoire !
Une question me hante : Pourquoi la recherche, la science et la médecine sont-elles si passives quand il s’agit de la santé des femmes ?
L’endométriose n’est pas une maladie « récente ». Ses premières descriptions nous viennent de l’Egypte Antique. Et depuis, des siècles de silence.
Des médecins qui internent, au XIX ème siècle, les femmes souffrant d’endométriose en hôpital psychiatrique.
Des médecins qui, au XXI ème siècle culpabilisent encore les femmes et instrumentalisent leur corps.
Aujourd’hui encore, le coût de la santé :
Les fins de mois difficiles pour payer les dépassements d’honoraires des consultations, des opérations, des médicaments, des examens, des soins, pourtant tous essentiels dans l’accompagnement de cette maladie qu’est l’endométriose ;
Les jours de carence en cas d’arrêt maladie ;
Les mutuelles qui ne complètent pas intégralement les salaires des patientes malgré les reconnaissances de type ALD6 et RQTH7 …
Et tout le reste.
La liste est trop longue.
Malgré l’opération, elle ne lâche pas l’affaire. Elle, la maladie. La sournoise, tapie dans mon ventre. Des adhérences post-opératoires se développent. Je souffre toujours autant à chaque cycle. Mes règles me font vomir. Je n’en peux plus. Je rêve qu’on m’arrache mes entrailles. Je rêve d’éviscération.
Et là, soudain, dans cette douleur lancinante, je décide de sortir du silence.
J’ai 36 printemps et je ne veux plus de mon utérus
La lutte est encore plus ardue qu’avant. « Ils » me disent : « vous êtes trop jeune », « vous êtes encore en capacité de faire des enfants », « l’hysterectomie est une mutilation ».
Merde ! C’est mon corps et je comprends vite que je n’en dispose pas. Non, mon corps appartient au corps médical. A ces médecins paternalistes et réactionnaires.
Pourtant, je tiens bon. Je cherche un gynécologue à l’écoute, compréhensif, bienveillant. Dans l’errance absurde qui dure depuis toutes ces années, je le trouve enfin.
J’ai maintenant 36 hivers
Nous sommes le 28 décembre. Hystérectomie. La délivrance. Cette maladie qui impacte tous les aspects de ma vie ne disparaîtra jamais. Mais sans utérus, plus de règles. Sans règles, plus de crises aigües de douleurs. La vie peut reprendre. La vie peut commencer.
J’ai 37 ans
Je n’ai plus d’utérus et j’ai la vie sauve. Après les analyses réalisées sur ce qu’on m’a enlevé (utérus, col et trompes), j’apprends que j’avais un début de « cancer de l’utérus ». Cette opération m’a donc littéralement sauvée, en plus de m’avoir libérée !
Je n’ai plus d’utérus et je n’ai plus de haine envers cette partie de mon corps. C’est en l’enlevant que j’ai pu enfin lui dire « je t’aime » et « merci ».
Je t’aime pour les leçons de vie que j’ai apprises.
Je t’aime pour m’avoir permis de cultiver le courage, la patience, la détermination, la bienveillance et l’empathie.
Merci pour m’avoir permise de donner la vie.
Merci de m’avoir fait découvrir la sororité, la solidarité et l’amour. Grâce à toi, j’ai pu ressentir l’affection de mes proche et le soutien de mes collègues.
Merci de m’avoir rendue plus résiliente.
Merci et « au revoir ».
38 ans et toujours en souffrance
Malgré mon hystérectomie, l’endométriose me fait toujours souffrir. Trop d’attente, trop de dégâts.
Persistance des douleurs chroniques et neuropathiques, épuisement chronique, problèmes de vessie, problèmes intestinaux et épi-gastriques, douleurs musculaires et ligamentaires, etc. Encore en errance pour recherche d’autres diagnostics. Refus d’ALD31. Taux de handicap reconnu par la MDPH entre 50 et 80%. En arrêt maladie depuis un an. Dépression.
Et d’autres problèmes de santé qui n’ont rien à voir avec l’endométriose.
Je continue de me battre !
38 ans, résiliente et aidante
La vie est toujours pleine d’aventures, plus ou moins drôles, plus ou moins engageantes. Mais chaque évènement est pour moi l’occasion de me ré-aligner avec moi-même, mes désirs, mes envies.
J’apprends, encore et toujours. JE M’APPRENDS.
Et Sororifemme-Endométriose est né ! Ce beau projet associatif qui me lie aux autres, à celles et ceux qui souffrent, qui doutent, qui combattent, qui errent, qui s’accrochent, qui pleurent, qui soutiennent.
C’est bouleversant et c’est beau !
Je vous vois, je vous entends, je vous soutien. Sororifemme-Endométriose est ce lieu qui nous unit, au-delà de la maladie et du handicap.
À toutes les personnes qui souffrent,
À tous.tes celleux qui doutent,
À tous.tes les adolescent.e.s qui couvrent leur visage de larmes,
Osez prendre la parole !
Il y a toujours, autour de vous, autour de nous,
Une personne qui comprend,
Une main tendue,
Un sourire aidant.
Courage !
1 « leur » : le corps médical
2 « il » : pronom personnel désignant le corps médical
3 « torrents de sang » : ils font référence aux règles hémorragiques
4 « ils » : pronom personnel désignant les médecins
5 The Handmaid’s Tale : traduit de l’anglais sous le titre La servante écarlate. Ce roman dystopique est écrit par Margaret Atwood. Il est publié pour la première fois en 1985. Il est réédité en 2020 aux éditions Robert Laffont. Le roman est adapté en série télé depuis 2017.
6 ALD : affection longue durée
7 RQTH : reconnaissance qualité travailleur handicapé
Mes formations
Les formations PUF (Plan Académique de Formation de l’Éducation Nationale) :
- Prévention de l’illettrisme et grande difficulté scolaire
- Prévention de la violence / Gestion des conflits
- La connaissance de l’adolescent
Les formations bénévoles et militantes de #NousToutes :
- Violences sexistes et sexuelles (niveau 1 et 2)
- Transphobie : Lutte contre la transphobie au quotidien / Justice et droits pour les personnes Trans. Avec l’association #ToutesdesFemmes
Sororifemme-Endométriose
Fondée en 2023, Sororifemme-Endométriose est une association ressource, proposant une boîte à outils pratique et bienveillante pour toutes les personnes atteintes d’endométriose.
Association à but non lucratif, enregistrée au JO depuis le 4 juillet 2023 / N° RNA W191006818.
Tu souhaites collaborer avec nous, devenir intervenant.e SFENDO, nous proposer un partenariat, devenir bénévole ou encore partager ton témoignage ? Envoie-nous un mail !
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19100 Brive-la-Gaillarde / France